Dany Laferrière

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Haiti/Canada | 2012

Dany Laferrière (born Windsor Kléber Laferrière, in 13 April 1953) is a francophone Haitian and Canadian novelist and journalist. Born in Port-au-Prince, Haïti, and raised in Petit Goâve, Laferrière worked as a journalist in Haïti before moving to Canada in 1976. He also worked as a journalist in Canada, and hosted television programming for the TQS network. Laferrière published his first novel, Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer (How To Make Love To A Negro Without Getting Tired) in 1985. The novel was later adapted into a screenplay by Laferrière and Richard Sadler, earning a Genie Award nomination for best adapted screenplay at the 11th Genie Awards in 1990. The film adaptation of the novel starred Isaach De Bankolé and was directed by Jacques W. Benoit. He writes his novels exclusively in French, although some have been published in English with translations by David Homel. The 2005 film Heading South (Vers Le Sud) was adapted from three of his short stories. In 2009, Laferrière won the prestigious Prix Médicis for his 11th novel, L’énigme du retour. In the past Laferrière had always refused to be published in the autumn, a season associated with the great literary prizes, but had been recommended to do so with L’énigme du Retour by his editors. On December 2013, Laferrière was elected on the first round of balloting to Seat number 2 of the Académie française, becoming the first Haitian and the first Canadian to receive the honour. He lives in Montreal, Quebec.


Report 2012

Le roman de Béatrice

L’invitation
Béatrice m’a montré du doigt la vieille tour, sur le coté gauche de la route quand on vient de Donnini (elle revenait de chez sa coiffeuse), en me signalant que Dante avait l’habitude de se réunir là avec des amis.  Je n’ai pas fait le lien entre Dante et l’autre Beatrice, celle que le poète a tant aimée.  Beatrice, celle d’aujourd’hui, est complètement folle d’un autre homme, son mari l’écrivain Gregor von Rezzori, dit Grisha.  Je dis ça parce que Beatrice me semble une femme d’un autre temps.  Son obsession de la beauté et de l’élégance l’éloigne de ce temps de la vulgarité.  Comment l’ai-je connue?  J’ai reçu il y a près d’un an une lettre d’elle me disant qu’un de ces amis Olivier Cohen (l’un des éditeurs de Grisha –Beatrice garde en activité un réseau complexe d’écrivains, d’éditeurs et d’amateurs d’art) l’avait conseillé de m’inviter à venir passer un moment chez elle, en Toscane.  Combien de temps?   Un mois et demi.  Oh la la, je ne crois pas pouvoir disposer d’un pareil luxe.  Mais c’était après ce séisme de Port-au-Prince où j’étais présent, et j’étais complètement épuisé par tous ces voyages qui m’amenaient un peu partout dans le monde, et même au Japon,  afin de rendre compte des événements tragiques auxquels j’avais assistés, et surtout du comportement digne des Haïtiens durant cette catastrophe.  Il me semblait que c’était un devoir de témoigner, ne serait-ce que pour donner une version plus humaine que celle des médias qui s’étaient beaucoup trop attardés sur le malheur, et pas assez sur le courage et la grâce des habitants de Port-au-Prince.  J’apprendrai que l’élégance et la grâce sont deux qualités très prisées par Beatrice.  J’ai donc dit oui.  Et tout de suite je me retrouvais dans son vaste réseau.  Elle m’a mis alors en contact avec quelqu’un qui voudrait apporter son aide à Haïti.  Et puis il y a cette jeune femme, si douée mais un peu perdue, à qui il faudrait tendre la main.  J’ai fait comprendre à Béatrice que c’est surtout cela que j’essayais d’éviter, étant complètement submergé de demandes venant de partout depuis ce tremblement qui a chamboulé ma vie intime comme ma vie publique.  Il me fallait donc du repos, de la lecture de fond et la possibilité d’écrire sans penser aux aléas de la vie quotidienne, ce qu’elle m’offrait finalement.

L’arrivée
Je passai une nuit à Paris pour arriver à Florence, un après-midi ensoleillé d’avril, où m’attendait Carlo, le chauffeur.  Carlo est un travailleur indépendant qui fait souvent le trajet Florence-Santa Maddalena puisque Béatrice, qui a déjà reçu près de 150 écrivains sur son domaine le charge d’aller de les cueillir à l’aéroport.  Béatrice m’avait prévenu : Carlo ne parle pas français, ni anglais.  Comme il est chaleureux, nous avons causé durant tout le trajet. Au début, on a voulu se comprendre, puis on a laissé tomber pour simplement s’exprimer chacun de son coté.  De temps en temps, Carlo se tourne vers moi avec un large sourire (lèvres minces et yeux perçants) pour me signaler la gare de Santa Maria Novela ou le grand Dôme.  Je n’arrêtais pas de m’extasier devant les sensuelles collines (on dirait des femmes nues allongées sur le coté, comme dans certains tableaux de Gauguin) de la campagne toscane.  Je distingue sur leurs flancs de petits villages vivement colorés, et où le rouge domine.  Juste après la fameuse tour de Dante, on tourne à droite pour s’enfoncer dans une route de terre bordée d’oliviers.  Je me sentais déjà un peu loin de cette vie asphyxiante quand je me tournai vers cette vieille dame qui donnait des grains à ses poules.  Elle s’arrêta pile pour me jeter ce regard sévère et insistant, presque glaçant, si propre aux paysans qui découvrent un étranger dans leur cour.  Puis on arrive au moment où Béatrice sortait pour m’accueillir.  Je suivis Nilanta qui m’avait pris des mains la grosse valise rouge pour l’amener à la Tour, pas celle Dante, une autre tour où logent les écrivains invités durant leur séjour.  Après avoir rangé mes vêtements, disposés mes carnets et mes livres sur le bureau, et pris une rapide douche, je filai retrouver Beatrice pour le thé.

Le thé
Béatrice m’attendait dans ses appartements, à l’étage.  Elle est chaleureuse et spontanée.  On a évoqué Haïti qu’elle avait visité, avec Grisha, dans les années 60.  Après Port-au-Prince, elle avait fait une pointe vers le Cap-Haïtien, dans le nord du pays.  Haïti était sous la dictature de Papa Doc.  On n’a esquivé la dictature pour parler du vaudou qui intéresse vivement Béatrice.  Elle déplorait le fait de ne pas avoir pu assister à une cérémonie.  Une dame française évoquait, devant eux, le vaudou. Grisha voulait en savoir plus, mais la dame s’est contentée de dire que « Le vaudou c’est du tonnerre de Dieu ».  Malgré l’insistance de Grisha (Béatrice et Grisha partagent la même curiosité insatiable), la dame refusait d’aller plus loin.  Cette histoire nous a beaucoup amusés, Béatrice et moi.  Et depuis, chaque fois qu’elle entend me questionner à propos des mystères du vaudou ou de ce qui se passe durant une cérémonie, je n’ai qu’à lancer que « le vaudou c’est du tonnerre de Dieu » pour qu’elle éclate de ce rire aigu de jeune fille.  On a parlé aussi des écrivains qu’elle adore dont certains sont devenus des amis.  Béatrice a certaines obsessions dont : la beauté, la célébrité et le talent.  Pour rester dans son réseau, il faut avoir au moins deux de ces trois talents.  Sa traductrice, ou plutôt celle qui traduit les discours et les rapports des écrivains, buvait son thé discrètement avant de partir.  Sa chienne Carlotta animait la pièce de son frétillement continu.

Les passions partagées
Béatrice a des obsessions (comme toute collectionneuse), des passions (les chiens et les écrivains) et un amour.  Son amour c’est Grisha dont il ne se passe pas une heure sans qu’elle ne l’évoque dans la conversation.  Parfois elle s’adresse directement à lui, comme si ce dernier se trouvait encore dans la pièce (Grisha est mort il y a douze ans).  Je partage son point de vue là-dessus car ma grand-mère disait toujours qu’on ne meurt que quand il n’y a plus personne sur cette terre pour se rappeler de nous.  Dans ce cas Grisha n’est pas mort.  Et Béatrice aurait du mal avec cette règle haïtienne qui exige que, par respect pour l’indépendance du mort, on doit ajouter tout de suite après avoir cité son nom : « Mort, je ne vous détourne pas de votre chemin ».  Béatrice cite Grisha trop souvent pour pouvoir observer une pareille coutume.  Alors les chiens?  C’est une passion qu’elle partage avec Grisha, ce séducteur qui, deux jours avant sa mort, était encore assez vivant pour envoyer un baiser à l’infirmière qui venait de laisser tomber pour lui sa lourde chevelure rousse (c’était une demande de Béatrice). Grisha, autant que Béatrice, adorait les chiens.  Ce lien fort les unit.  Les chiens et la littérature.  Béatrice me l’a confié, mais je l’ai su aussi en lisant ce magnifique livre, Les Neiges d’antan, où Grisha évoque surtout son enfance et un monde aujourd’hui complètement disparu.  Grisha (Mort, je ne vous détourne pas de votre chemin) aurait eu cent ans en 2014.  Béatrice est encore fière d’avoir un mari centenaire.  Béatrice passe d’un temps à un autre, comme si Legba, le dieu du vaudou qui se tient à la porte du visible et de l’invisible, avait laissé pour elle, la barrière du temps ouverte.  Cela affole Béatrice qui a l’impression que les choses s’effacent trop vite de son esprit, comme si sa mémoire, trop remplie, rejetait automatiquement le surplus.  Elle ne retient plus que deux sortes choses : tout ce qui s’est passé il y a longtemps et tout ce qui est inutile.

L’amour des chiens
Il y a quatre chiens dans la maison : trois chiennes passionnées et un pauvre chien débordé. La chatte, Lili Tiger, est aussi invisible que celui dans Alice au pays des merveilles.  Parfois je me retourne pour découvrir qu’elle m’observait derrière la vitre de la fenêtre.  Est-elle discrète ou a-t-elle choisi de laisser l’espace aux chiens.  En tout cas, elle ne pratique pas cette dépendance affective qui lie les chiens à Béatrice.  Elle a l’air de dire : « J’habite chez ces gens, mais on n’est pas du même monde.»  Chez Béatrice, il y a deux situations possibles : vous adorez les chiens, alors c’est parfait, ou vous n’arrivez pas à avoir un contact avec eux alors Béatrice se charge de changer cet état de fait.  Elle va jusqu’à vous proposer d’en adopter un.  Vous avez beau lui dire que vous voyagez trop pour avoir un chien, que c’est plus difficile dans une grande ville, Béatrice croit que c’est une relation nécessaire à notre équilibre.  Les chiens ont besoin de notre amour.  Elle ne se contente pas d’aimer les chiens, elle entend à ce que les autres les aiment.  C’est un sentiment qu’elle partage avec l’écrivain V.S. Naipaul.  Je ne sais pas si elle aime Naipaul car Béatrice est, d’une certaine façon monogame, elle n’aime qu’un seul écrivain voyageur et c’est Bruce Chatwin.  Faux, me dit-elle, j’ai un rapport particulier avec Chatwin, surtout pour tout ce qui concerne les arts visuels.  Béatrice a été pendant vingt-ans propriétaire d’une galerie d’art contemporain et Chatwin a travaillé pour Sotheby.  Ils partagent aussi ce goût des choses insolites.  Béatrice est un attire-foudre, c’est-à-dire qu’il lui arrive des choses étranges.  Je crois que c’est lié à ce mélange chez elle de curiosité inlassable et d’ouverture d’esprit.  Les choses n’arrivent qu’aux gens qui savent les accueillir.  Par exemple, en Haïti, si elle a raté la cérémonie vaudou, elle a croisé la peinture primitive.  Elle aurait beaucoup à faire pour instituer l’amour des chiens, comme elle l’entend.  D’abord parce que durant la période coloniale le général Rochambeau qui commandait l’armée napoléonienne chargée de rétablir l’esclavage fit venir de Cuba des chiens dressés pour chasser les esclaves qui avaient fui les plantations pour se cacher dans les montagnes, ce souvenir est encore brûlant dans la mémoire haïtienne.  Ensuite les Haïtiens ont rapport d’indépendance avec les animaux.  Les humains et les animaux vivent dans des univers parallèles.  Il arrive qu’on se croise, mais il n’y a pas ce rapport fusionnel que je vois dans les grandes occidentales surtout.  Est-ce lié à la solitude ou à l’hiver parfois rude qui les obligent à vivre sous le même toit.  Tout ça pour dire que je n’ai jamais vu en Haïti quelqu’un embrasser un chien sur la bouche.  J’avais un chien Marquis qui venait à l’aube se coucher sur mes jambes, durant mon enfance, et c’est une chaleur que je n’ai jamais oubliée, assez pour le mettre en scène dans mes livres pour les enfants (Je suis fou de Vava et La fête des morts).  Une voiture lui était passée sur les reins, et il boitait d’une manière qui faisait rire mes amis, ce qui me blessait horriblement.  Comme le prince de Ligne avait dit à la mort de sa fille : « Il m’arrive de croire que ma fille est aujourd’hui en Amérique », j’aimerais bien croire que Marquis s’est frayé un chemin, guidé par Legba, pour venir vivre chez Béatrice.

Les vieux primitifs,
Les murs sont couverts de peintures et de gravures, pas de photos.  Béatrice déteste cette esthétique vulgaire où l’on impose sa vie aux autres.  C’est pour cela qu’il n’y a pas de photos des écrivains sur les murs des chambres où ils ont vécu.  J’ai proposé cette idée au déjeuner.  Horreur!  Béatrice pousse des cris d’effroi.  Il faudra, dit-elle, passer sur mon cadavre.  En prononçant le mot cadavre, elle se souvient de cette possibilité.  Que deviendra Santa Maddalena à sa mort?  Est-ce qu’on profitera pour exposer les 150 photos d’écrivains qui ont défilé ici, surtout qu’elle ne les a pas tous aimés.  La tigresse était déchaînée.  La barbarie n’était pas loin.  C’est toujours ainsi avec les gens qui ont une forte personnalité et ce sens précis de ce qui est ou n’est pas de l’art, sens qui n’est pas forcément partagé par tout le monde.  En tout cas, ce sens a agi en Haïti car elle avait pu acheter dans les années 60 des toiles de peintres qui sont aujourd’hui reconnus dans le monde.  Elle a Jasmin Joseph que j’ai bien connu et qui a peint des lapins, enfin tout un univers du point de vue des animaux.  Jasmin Joseph est un des hommes les plus doux et les plus modestes de ma connaissance.  Elle a aussi Philomé Obin que j’ai bien connu dont la toile la plus célèbre est L’Arrivée du président Roosevelt au Cap-Haïtien.  Ce sont des traits sobres, un peu austères, ce qui n’est pas dans la manière haïtienne.  Il est en quelque sorte le fondateur de l’école du nord, de ces peintres qui accordent une importance particulière à l’histoire.  Et d’autres comme Salnave Philipe-Auguste, moins intéressant avec ses jungles prévisibles.  Quand elle les a eus la peinture haïtienne venait de décoller, sur le commercial, sous l’influence du critique d’art et collectionneur Selden Rodman.  À la publication de ses livres sur la peinture haïtienne, les collectionneurs amateurs se sont rués sur cette peinture qui a fait la joie de Breton, et plus tard d’André Malraux.  J’étais très ému de découvrir dans cette pièce sombre des maîtres de l’art primitif haïtien.  Il n’y a pas qu’eux, si Béatrice n’avait pas fait « des bêtises » elle aurait eu sur ses murs des Bacon et un Pollock.

Véra et Béatrice
Je suis à Santa Maddalena, je l’ai dit, pour me reposer, pour lire (j’ai apporté Guerre et Paix de Tolstoï) et pour écrire.  J’ai deux passions : l’observation (je ne suis pas curieux, je ne cherche pas à savoir, mais j’enregistre tout ce qui se passe sous mes yeux) et le moment présent.  J’aime la distance qu’exige l’observation.  Je capte tous les détails qui entourent un être, comme si j’étais une caméra qu’on a oublié d’éteindre, jusqu’à ce que je sache qui est face de moi.  Je ne fouille pas dans les tiroirs, ne cherchant pas révéler ce qu’on voudrait secret (en fait il n’y a pas de secret pour qui sait lire un visage ou interpréter un rire).  Je me contente de ce qui est visible.  A peine arrivé, j’ai sorti Guerre et Paix de ma valise pour le commencer dès le premier soir.  Je m’étais fait cette promesse : m’enfoncer dans un livre assez riche et touffu qui me permettrait de prendre congé de cette jungle urbaine où l’esprit doit rester constamment en alerte pour survivre.  On doit toujours réagir, étant constamment harcelé.  Je rêvais de me perdre, la nuit, dans cette forêt russe qu’est la prose de Tolstoï, pour le jour retrouver le monde de Béatrice.  Béatrice qui m’est apparu tout de suite comme un personnage de roman.  On lui demande souvent pourquoi elle n’écrit pas ses mémoires, et elle répond, espiègle, que ce sera trop long, d’ailleurs elle a déjà fait 120 pages pour décrire ses neuf premières années – il reste 76.  En fait, ce serait une erreur de sa part de continuer cette rédaction, car elle me paraît beaucoup plus un personnage de roman qu’une romancière.  Un personnage de Nabokov.  Voilà les deux vieux rivaux qui se retrouvent de nouveau : Nabokov et Grisha.  Béatrice pense que Grisha et Nabokov qui sont s’abreuvent à la même source (cette culture à la fois si raffinée et terrienne) sont semblables, sauf que Grisha lui parait plus humain, un peu moins sec et dur que Nabokov.  Le rire grinçant de Nabokov que j’ai entendu à la télévision française, l’ironie mordante de Grisha sur un sujet jusque là intouchable (l’antisémitisme) qui a effrayé les Allemands qui ne le lui ont jamais pardonné.  J’enclins à croire que Béatrice, à cause de son long séjour à New York (où elle vit encore une partie de l’année), dans ce Manhattan fashion du début des années 60 mené à la baguette par Alexander Lieberman, me semble plus nabokovienne que grishienne.  Véra Nabokov serait-elle plus proche de Grisha que de Vladimir?  Je ne le sais, mais il me semble qu’on devrait faire un double portrait de ces deux femmes qui ont passé leur vie proche de ces écrivains qui nous ont donné l’impression qu’ils savaient quelque chose à propos des monstres étranges qui ont dominé le vingtième siècle, nous menant au bord de la catastrophe.  Nabokov s’est réfugié dans le style et la chasse aux papillons tandis que Grisha s’enfermer dans une tour, près de Florence.  Il me faudrait retrouver la trace de cette Véra, même morte, pour avoir une compréhension totale de Béatrice.

Les objets
Je dois quand même écrire, c’est la raison d’être de ce séjour.  J’écris le matin au lit, et l’après-midi dans ce petit bureau au bout du couloir, de l’autre côté des toilettes.  Je dors dans une vaste chambre, avec deux grands lits, comme si j’attendais une visite nocturne.  Des gravures au mur qui me renvoie au Moyen-Orient.  Des objets hétéroclites, ramassés un peu partout qui disent la manie collectionneuse de Béatrice et de Grisha.  Ce midi, Béatrice m’a passé un petit essai qu’elle a écrit à l’usage de son architecte pour lui expliquer sa vision de l’art.  Il ne s’agit pas d’une collection d’objets rares et précieux.  Certains le sont mais d’autres sont là parce qu’ils sont là, comme les objets avaient une volonté propre.  Je partage ce point de vue car je crois qu’avec le temps, l’être humain a fini par se frayer un passage dans le monde des objets.  Des gens sont morts durant le séisme pour avoir voulu sauver des objets sans prix, ou dont le prix n’étaient connus que d’eux.  Béatrice ne cherche pas non plus à placer ces objets, comme le ferait un de ces designers californiens, elle cherche à créer un nouvel équilibre dans la maison qui tiendrait compte des gens, des objets et des animaux.  Béatrice va jusqu’à m’expliquer qu’elle ne fait aucune différence, d’un point de vue strictement esthétique, entre les objets et les écrivains, ou plutôt que ces écrivains brillants qu’elle rassemble autour d’elle participent à la même dynamique.  C’est ça, c’est une énergie nouvelle qu’elle cherche, comme une parfumeuse qui chercherait le parfum idéal.  Cela donnerait une fausse d’elle si on ne tient pas compte du coefficient humain.  Pour elle, l’art est une tension qui n’a rien à voir avec le calme paysage qui l’entoure.  Elle ne veut pas simplement vivre dans cette beauté, elle entend y apporter quelque chose, permettre à de jeunes écrivains venant de pays où la réalité est difficile (New York, Londres, New Delhi ou Port-au-Prince), de découvrir une autre manière de vivre.

Le livre
Je travaille sur un bref essai sur l’écriture.  Titre : Notes à l’usage d’un jeune écrivain.  Ce jeune écrivain c’est bien moi.  Tout ce que j’aurais aimé savoir au début et que je n’ai pas su.  Au fond, ce livre ne servira à personne, l’expérience ne se transmettant pas.  Pourquoi je l’écris alors?  J’aime démonter la machine pour voir ce qu’il y a dedans.  J’avais besoin de ce temps de halte afin de savoir où j’en suis avec le fait de passer ma vie devant une machine.  Ce n’est pas recommander de commencer à écrire tout de suite en arrivant dans un pareil lieu.  Il faut d’abord se laisser imprégner par les nouveaux effluves.  Ça sert ne sert à rien de se déplacer si c’est pour se retrouver tout simplement devant un ordinateur.  Je me tiens des heures devant la fenêtre de mon studio de travail pour regarder les arbres.  Ce feuillage qui cache le fond de la falaise.  Tout est vert car les arbres sont couverts d’une mousse verte.  Les branches s’étendent au loin.  Toute cette profusion finit par intimider : on se demande pourquoi écrire si ça existe.  Il est temps de fermer la fenêtre et de se mettre au travail.  Je travaille jusqu’à l’heure du diner.  Je prends une rapide douche, me coiffe, me parfume, mets une veste, traverse une oliveraie couverte de roses blanches, pour arriver à 20h 30 dans le salon où se trouve déjà Béatrice.  On parle peu de ce qu’on écrit, plutôt de ce qu’on a fait.  C’est souvent une promenade dans les bois.

Le jeune assistant
Je lis la nuit et surtout le matin, juste avant de commencer à écriture.  Je dévore une centaine de pages de Guerre et Paix avant la douche.  Puis je vais travailler sur mon livre.  Je prends des notes à la main : des choses que j’ai vues ou entendues en rêve.  Je vais déjeuner, vers 13h 30.  Tout de suite en arrivant là-bas, j’apostrophe Alex (Alex Atarritt est le jeune assistant de Béatrice) à propos du chapitre dont je viens de terminer la lecture, sachant qu’il connaît Guerre et Paix par cœur.  Je lui donne des détails de la vie à Moscou ou à Saint-Pétersbourg et on échange nos avis là-dessus.  On parle de « la jolie princesse » que Tolstoï prend la peine de décrire minutieusement les lèvres, qui est déjà l’épouse malheureuse du prince André (ce qui est magnifique c’est que Tolstoï ne donne aucune explication pourquoi le prince André agit de manière si méprisante avec une femme douce), on évoque « la belle Hélène », assez perfide pour tendre un piège à Pierre afin de se faire épouser par lui (Tolstoï n’est pas tendre avec les femmes), on parle avec passion de ce monde si vivant que Napoléon convoite pour sa couronne.  Alex est le jeune assistant de Béatrice qui remplace un autre jeune assistant, parti sur d’autres projets – il travaille aujourd’hui au journal Grantha, à Londres. Alex a les qualités prisées par Béatrice : il est grand, beau, intelligent et il peut lire en anglais, italien, français, allemand.  Les livres éparpillés dans la maison sont dans différentes langues pourraient intimider ou stimuler un jeune écrivain.  Pas Alex plongé ces jours-ci dans Shakespeare (il lit les pièces qu’on n’a pas vu sur scène depuis un moment).  Il juge durement la littérature contemporaine, mais s’incline devant David Foster Wallace, lisant avidement son Jest, dont il prise les multiple points de vues, et surtout le fait que Foster Wallace tient compte des réalités de classe (les gens parlent avec le langage et les habitudes de leurs classes sociales).  Alex écrit discrètement, il ne m’en a parlé que dernièrement lors d’une ballade dominicale.  Il file chaque dimanche à la recherche de châteaux et monastères à visiter (ce qui ne manque pas dans la région), en réalité il a simplement envie de respirer un bon coup, car tout cela peut devenir asphyxiant pour un jeune homme habitué à la vie londonienne.  D’autant que j’ai remarqué durant nos sorties (à Donnini) que son œil s’allume dès il repère une belle femme.  C’est un jeune homme de gauche, le regard clair, qui se tient droit, qui n’aime pas les privilèges et déteste l’arrogance des puissants.  Le contraire serait plus grave.  Parfois dans un éclair je vois que le monde d’Alex pourrait s’opposer au monde de Béatrice.  Mais c’est peut-être la lecture de Tolstoï qui m’influence.  En tout cas, il a une flamme intérieure qui pourrait alimenter son écriture s’il ne tombe dans un esthétisme desséchant.  Alex et moi, on a longuement discuté un soir, assis dans la cour, sous les étoiles, de la manière Tolstoï.  La camera, impassible, qui balaie le paysage, rendant Bonaparte aussi minuscule et impuissant que n’importe quel soldat de son armée.  Mais ce ton placide s’arrête net quand il tombe sur une de ses obsessions, alors  le vieux Tolstoï se lance dans des discours interminables sur la propriété, la franc-maçonnerie et le déterminisme historique.  Alex et moi, on aime le Tolstoï qui décrit les soirées de l’aristocratie pétersbourgeoise et les lèvres méprisantes du prince André regard ce spectacle.

L’aristocratie de la beauté
J’ai trouvé sur une table ce livre de photos d’Alexander Lieberman que Béatrice qui l’a connu, appelle Alex.  On s’est assis, côte à côte, dans la cour, pour évoquer, en tournant les pages, ce monde dont Béatrice est un des derniers représentants.  Des gens qui se sont voués au talent et à la beauté.  Béatrice voit tout par le prisme de la beauté, ce qui peut être agaçant parfois, mais moins quand on la comprend.  C’est sa façon de lutter contre la barbarie des Berlusconi de ce monde.  C’est peut-être la beauté d’un chien, d’un enfant (elle peut juger un enfant de trois ans sur ce critère), d’un style, d’un ciel, d’un jardin, d’une maison, d’une langue, d’une démarche.  Que vous soyez riche ou pauvre, vous serez jugé sous ce critère.  Ce qu’elle n’accepte pas c’est qu’on cède la place, sans se battre, à la laideur.  Alors voilà le mot : se battre.  Elle aurait pu se réfugier dans le souvenir de son mari Grisha et de son époque si brillante de tous ces gens que j’ai vus dans le livre de Lieberman.  Elle a fait mieux.  Elle a continué à être belle pour lui –avec lui.  Et deux fois par jour du printemps à la fin de l’été, elle reçoit à sa table les plus étincelants esprits contemporains.  Avec elle, c’est toujours le dessus de panier.  Alors Béatrice et moi, on feuillette le livre pour reconnaître tous ces gens avec cette étrange flamme dans les yeux alimentée constamment par ce désir de se surpasser.  Le monde à la fois rêvé et réel d’Alex Lieberman qui a pris la jeune Béatrice sous son aile.  Il y a Tatiana Lieberman, cette blonde aux jambes interminables et au regard un peu triste.  Et Giacometti dans sa mansarde avec une femme, elle aussi un peu triste.  Béatrice qui sait avoir la dent dure glisse que Giacometti peut bien jouer au pauvre et obliger cette jeune femme à vivre dans la crasse et l’indigence, il avait une belle maison ailleurs.  Il y a  cette jeune femme qui a fait, pour l’héritage, un détestable procès à sa famille (bien sûr l’argent est le nerf de cette guerre), ou celle-là si jolie sur la photo, dont elle m’assure qu’elle ne fut pas vraiment belle –et surtout bête.  Béatrice n’arrêtait pas de s’extasier du fait que je connaissais tous ces gens-là.  Je ne les ai pas fréquentés : j’étais trop jeune et ils ne sont pas de mon milieu, comme on disait à cette époque.  Je lis les magazines et je me rappelle de tout, des choses intéressantes comme des choses inutiles.  Si Béatrice connait ces gens personnellement, moi je n’ai fait que lire à propos d’eux.  On a alors reconnu, Béatrice et moi, qu’on fait une belle équipe.  Ce qui rend Béatrice si émouvante et qui m’amène à faire ce portrait, c’est son courage, c’est-à-dire la passion qu’elle met encore à 85 ans à faire ce travail d’art.  Elle semble se dire : « Je refuse de passer le reste de sa vie à écouter des âneries venant de gens que je n’aurais jamais fréquentée auparavant.  C’est une aristocrate de l’esprit.  Ce qu’elle veut de pouvoir converser jusqu’à la fin avec son vieux complice Edmund (Edmund White est l’auteur de The married man) ou de s’envoyer des images de la vie quotidienne avec Zadie (Zadie Smith est l’auteur de White teech),  sa nouvelle copine.

Le diner
Il y a la grande résidence principale où l’on ne ferme presque jamais les portes, sauf le dimanche, et juste en face, la dépendance où l’on trouve le studio de Grisha, la chambre d’Alex et les appartements de Nilminy, la cuisinière, de Nilanta, le jardinier et de leur petite fille Sanduni.  Les deux noms du couple évoquent le bleu de Krisna.  Nilminy est discrète et chaleureuse tandis que Nilanta est expansif.  La petite fille tient de sa mère.  Elle ne se laisse pas intimider par la chienne Julietta qui se met dans tous ses états chaque fois qu’elle la voit.  Ils ont des rapports particuliers qu’on ferait bien de ne pas trop interpréter.  En tout cas, Nilminy a la charge difficile de nous faire deux repas différents par jour.  Comme elle adore faire la cuisine, cela ne l’absorbe pas trop.  On n’a qu’à voir sa joie quand elle vient nous dire que le repas est servi –« Pronto ».  Nilminy semble un peu angoissée ces jours-ci jusqu’à ce que j’apprenne que son fils qui vivait avec eux est resté à Sri Lanka.  L’Italie, comme beaucoup de pays européens, est en plein débat sur la question de l’immigration.  Quel est l’apport réel des immigrants qui viennent de plus en plus de pays du Tiers-monde?  Est-ce qu’ils volent le travail des ouvriers italiens alors que la crise économique bat son plein?  C’était étonnant car ce sont les mêmes mots qu’on a employés au sujet des Italiens en France.  L’Histoire mord sa queue.  Béatrice semble sensible, à sa manière, au sort des immigrants, tout en étant inquiète sur l’avenir de la culture (l’art de vivre italien) si l’immigration prenne des proportions démesurées.  Chaque soir juste avant de passer à table, Béatrice et moi, on s’assoit sur deux chaises droites pour regarder les nouvelles.  Je ne parle pas italien mais les mêmes sujets reviennent si souvent que j’ai fini par comprendre.  Il s’agit dans l’ordre de corruption, du nouveau terrorisme qui prend sa source, selon les manifestes politiques des groupes clandestins, dans la misère des gens, des banques qui s’effondrent, des usines qui se ferment.  N’en pouvant plus beaucoup de petits commerçants, et même de simples citoyens, se sont suicidés dernièrement.  Après s’être ainsi gavés de drames et d’images choquantes, on finit par passer à table, car Nilminy, la cuisinière, entend retrouver sa famille pour manger.   Mais Béatrice n’en n’a pas fini avec sa bête noire, la Ligue du nord, ce parti de droite qui a fait son capital politique contre la corruption jusqu’à ce qu’on découvre que les députés étaient corrompus à l’os.  L’Italie n’est pas le seul pays à souffrir de la corruption, mais à cause des différents types de mafia qui partagent le territoire, donne une image désastreuse d’elle-même.  On ne mange pas beaucoup, ni longtemps, chez Béatrice.  C’est bon et pas lourd, et on ne traîne pas, tout ce que j’aime.  Je fais toujours un signe discret à la fin à Nilminy pour lui faire savoir ma satisfaction. Elle baisse alors la tête avec un bref sourire, et file de l’autre coté où on l’attend pour commencer à manger.

Le jardin
Si Béatrice est la tête de ce remarquable ouvrage d’art qu’est le jardin;  Nilanta en est le bras.  Disons les jambes car il n’arrête pas de courir, même quand il n’y a aucune urgence.  Il court sans cesser de sourire.  Et comme il porte souvent des bottes, on a l’impression que c’est le chat botté, mais un chat lourd qui n’a rien à voir avec la sveltesse et la grâce de Tiger Lili.  Le matin vers 8h 15, il emmène sa fille qui ressemble à une statuette tant elle est finement ciselée, à l’école.  Je ne sais pas ce qu’on y apprend car la jolie valise colorée semble vide.  Et Nilanta ramène souvent des plants de fleurs qu’il compte planter quelque part dans le jardin, sous la directive de Béatrice.  Il y a des fleurs partout et des arbustes de toutes origines, mais il y aussi un ordre, ce n’est pas un ordre rigide, mais plutôt une recherche de la logique organique de la nature.  Un peu comme les grands peintres de la Renaissance, confondant science et art, voulait comprendre l’ordre des choses, afin de mieux se confondre dans la nature.  Comment intervenir sans trop déranger?  Le jardin ressemble à ce métissage artistique si cher à Michaël Ondaatje (Michaël Ondaatje auteur du Patient anglais).  Ondaatje comme Nilanta, l’écrivain comme le jardinier, vient de Sri Lanka.  Et Ondaatje est loin d’être insensible à l’art du jardin.  Ondaatje fait partie du cercle restreint d’écrivains que Béatrice porte dans son cœur.  L’écriture délicate d’Ondaatje nous met toujours au bord des larmes, tant le sentiment évoqué est poignant.  C’est un homme à la fois doux, timide et déterminé.  Ce qui n’est pas de l’aventureuse Béatrice qui s’est lancée, il y a quelques années, dans un mélange inusité.  Elle a fait pousser des rosiers le long des branches des oliviers.  Ce qui fait que pendant deux semaines, vers la fin du printemps, les oliviers ressemblent à d’immenses rosiers.  C’est magnifique mais trop étrange pour les planteurs de la région qui y voit un caprice.  Mais ce n’est pas un caprice mais tout à fait la vision de Béatrice : la beauté qui habille l’utile.

L’autre face
J’ai eu une discussion avec Beatrice, dernièrement, en allant vers Arezzo.  Tout a commencé quand Béatrice a remarqué avec une certaine révulsion (elle l’a sûrement remarqué depuis le début de son arrivée dans cette région) ces villages qui se développent de manière anarchique sur le flanc des ondulantes collines.  Pour elle ces cancers finiront par défigurer la si belle campagne toscane («Bellissima», comme dit Carlo, le chauffeur).  On ne peut être que touché par cette profusion de vert de toutes les nuances. D’un strict point de vue de beauté, je ne peux être que d’accord avec Béatrice.  La logique même de la nature a été touchée.  Mais il faut comprendre que les gens qui y vivent n’ont pas assez de distance face aux problèmes quotidiens auxquels ils doivent faire face pour inclure le paysage dans leur vie intime.  L’espace public n’existe pas pour eux, et c’est à l’Etat à restaurer ce rapport entre la nature et les gens.  La maison est pour eux un espace où ils peuvent manger, dormir, s’habiller, et qu’ils s’empressent de quitter dès que ces fonctions sont satisfaites.  Ce n’est pas un espace ludique.  Ce qui importe ce sont les relations familiales, qu’ils cultivent avec autant de soins que d’autres s’occupent de leur jardin.  Béatrice aimerait agir sur un espace plus restreint que l’Etat, elle aimerait tout simplement qu’ils fassent un petit jardin autour de leur maison, et qu’ils fassent un peu plus attention à ce qui les entoure.  Car que l’on soit pauvre ou riche, on a une responsabilité face à la nature.  Pour Béatrice, la beauté apaise.  Alors que pour eux tout doit être fonctionnel.  Plus tard, Béatrice me raconte cette histoire de son chauffeur grec avec qui elle avait des discussions au sujet de notre rapport avec la nature.  Elle pensait l’avoir convaincu jusqu’à ce qu’elle découvre, horrifiée, qu’au lieu de planter des arbres, ou même de faire un potager, il avait cimenté complètement sa cour.  Béatrice siffle sur le ton de César s’adressant à Brutus après le coup de couteau fatal : « Lui, que je croyais mon disciple… »  À mon avis, le jardin vient après beaucoup d’autres choses.  Cet homme vivant avec sa famille, j’imagine, dans une maison encombrée, avait besoin de cet espace.  C’est sa poche d’oxygène.  Un espace que Béatrice possède déjà, vivant seule, dans une grande maison.  Cette cour déboisée est un prolongement de sa maison.  Une pièce à ciel ouvert.  Bien sûr que je suis d’accord avec Béatrice on ne peut pas éviter la beauté sans en souffrir.  Justement ils en souffrent, et cela s’appelle la misère.  La misère n’étant pas uniquement un manque de nourriture ou de vêtements, mais aussi de beauté.  Je sens Béatrice se remuer sur sa chaise pour me préciser encore mieux sa pensée, mais l’écriture, contrairement à la parole, impose arbitrairement le silence à l’autre partie.  De toute façon, je suis d’accord, sauf que je suggère un autre angle possible.

Le silence
Il n’y a pas que l’espace qui manque chez les pauvres, il y aussi le silence.  Le bruit qui y règne finit par vous épuiser.  Ce qui fait le plus mal c’est l’absence de temps à soi.  On travaille beaucoup, et de retour à la maison la dépense d’énergie ne s’arrête pas pour autant.  On croit se soustraire au bruit, en allant s’asseoir dehors, dans la cour cimentée.  Mais les voisins font autant de bruit.  C’est tout le quartier qui est invivable.  Je me souviens encore de ces promenades avec ma mère, les soirs d’été, dans les quartiers riches afin de simplement entendre le silence.  Et voir les belles maisons avec des jardins exquis.  Jamais je n’ai entendu de sa bouche un mot amer à propos de la richesse des gens.  Nous ne faisions que nous extasier devant tant de beauté, d’harmonie, et de respect des règles de la nature.  Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y avait pas un art de notre coté, mais de ça j’ai taché d’en rendre compte dans mes livres.  Ce silence nous semblait une telle conquête contre le bruit incessant du bas de la ville.  Je crois qu’il est important que ceux qui en ont les moyens maintiennent ce haut standard de vie.  Le scandale c’est de disposer de cette richesse sans tenter d’apporter un peu de beauté au monde.  S’il n’y a plus de modèle, c’est la fin d’un mode de vie.

Une époque
Le matin, j’entends les pas de Nadia qui arrive pour faire le ménage.  Son visage, sa démarche si caractéristique (on a l’impression qu’elle va tomber à tout moment), et ce large sourire qui lui mange le visage, lui confère une certaine séduction.  Elle arrive au travail dans sa petite voiture qui tient bien la route car son mari est mécanicien à Donnini, le village d’à côté.  Quand je marche vers l’autoroute pour voir les voitures car je suis un homme des villes qui ne peut vivre longtemps sans respirer un peu d’oxyde de carbone, je vois Donnini en face de moi, sur le flanc de la colline.  Si Donnini était un village nord-américain, on aurait pensé qu’il est charmant, mais comme nous sommes en Toscane et que le critère de beauté dépasse fortement la moyenne, Béatrice déteste Donnini.  Elle croit que les gens l’ont enlaidi avec leurs constructions sans aucun souci d’élégance.  Faut dire que le paysage est si beau qu’il devait servir de modèle à ceux qui veulent se construire des maisons.  Donnini avec son petit bar, sa pizzeria, son tabac, ses magasins d’alimentation, lui semble une injure à tout cet effort qu’elle déploie depuis des années dans la région.  Est-ce pour contrer l’influence de Donnini que Béatrice redouble d’énergie.  Je la sens inquiète depuis ces derniers jours.

Le départ
Un des vieux amis de Béatrice, « un homme de la Renaissance » comme elle dit, s’apprête à partir après avoir dirigé pendant plus de 40 ans le New York Book Review.  Et cela rend Béatrice plus sombre.  Son vieux complice, Edmund White, ne se porte pas bien non plus.  Son ami de toujours Max qui vit à Gênes (à qui il avait donné son premier emploi), lui non plus ne va pas trop bien.  Cette une époque qui s’en va et Béatrice croit que c’est aussi un art de vivre qui glisse doucement dans la pénombre.  Et elle se demande qui va défendre les chiens et les arbres dans ce monde où la barbarie s’est définitivement installée.  On a profité de son absence (elle passe l’hiver à New York) pour élargir la route en coupant anarchiquement des arbres.  Tout ça parce que les chasseurs veulent plus d’espace pour circuler avec leur large voiture.  L’autre jour, Max, en prenant le café sous l’arbre, Max a évoqué sa jeunesse, quand, à dix-huit ans, avec sa première voiture, il a parcouru l’Italie.  L’Italie des années 50.  Un paysage de rêve.  Aujourd’hui, tout est dévasté.  Même la Toscane?  Ce coin tient encore un peu, mais pour le reste de l’Italie, c’est fini.  Il faut dire que Max qui est un homme chaleureux, cultivé, et un amateur d’art sophistiqué dans ses goûts, est aussi un pessimiste qui croit que l’homme ne mérite pas toute cette beauté dans laquelle il vit.  Nous sommes profondément mauvais, jette-t-il, et il ne s’exclut pas.  Heureusement il y a avait, dans cette voiture qui le ramenait de Pise, une toute petite chienne du nom de Rosine que Béatrice avait été cherchée là-bas.  J’ai ajouté Miss à son nom ce qui donne Miss Rosine, ce qui va avec son tempérament espiègle.

Un concert de mandoline
Juste au-dessus de ma tête travaille Andrew (Andrew Miller est l’auteur de Pure).  En fait, il dort car il souffre horriblement d’insomnie.  Il se gave de pilules en espérant quelques maigres heures de sommeil.  J’imagine qu’il en profite pour travailler, ce qui n’est pas toujours possible, car l’insomnie crée une permanente anxiété, et à la fin on en sort fatigué et frustré.  Andrew a deux passions sa petite fille qui est passionnée de cheval (j’ai vu un petit film sur le téléphone d’Andrew où elle joue dans son salon à la cavalière) et la mandoline.  Il nous a offert un concert, un dimanche soir.  Des ballades irlandaises, écossaises et canadiennes.  Le son de la mandoline est si cristallin qu’il semble manquer de nuances, mais ça ne parait pas avec les chansons qu’Andrew a choisies.  On écoute ce concert improvisé d’Andrew, après le repas préparé par Karin (Karin Altenberg est l’auteur de Island of wings), une jeune romancière suédoise, vivant à Londres, qui s’active sur son deuxième roman.  Le dimanche, Nilminy prend congé, alors nous devons nous organiser pour les repas.  On profite pour déjeuner au restaurant.  Béatrice nous emmène faire une ballade dans la région.  On tente de visiter cette église (elle est fermée) à coté du restaurant où nous allons.  Les églises d’art sont une spécificité italienne.  L’église ici doit sauver les âmes, mais sa fonction première c’est d’être la gardienne de la tradition culturelle italienne.  Et chaque église presque, si petite soit-elle, possède au moins une œuvre importante, une toile de maître souvent créée sur place et qu’on n’a pas cherché à ramener dans un musée.  C’est mieux ainsi, car elle serait noyée dans un musée, alors qu’elle trône ici.  Et vous n’avez qu’à dire à un Italien cultivé où vous vous trouvez pour qu’il vous dise immédiatement ce que vous trouverez dans telle église tout près de vous.  On pourrait trouver ces informations dans n’importe quel livre touristique, mais je préfère l’apprendre par la bouche de quelqu’un.  Un homme, comme Max, peut traverser l’Italie pour aller voir une Madone qu’il n’a pas vue depuis longtemps.  Il en parle avec une telle gourmandise que je demande si je ne préfère pas l’effet de l’art sur les gens que l’œuvre elle-même.  L’église étant fermée, on est allé à ce petit restaurant où il y a une photo de Grisha à l’entrée, avec d’autres gloires de la région qui sont déjà venues manger ici.  Comme l’endroit est assez sombre, on s’est assis près de la fenêtre.  Et tout de suite une jeune femme, très vive, est venue vers nous.  Béatrice la connait.  C’est un couple qui dirige le restaurant.  Pas loin de nous, une demi-douzaine de vieux habitués semblent se donner rendez-vous ici le dimanche.  Ils se parlent debout au milieu de la salle comme si on était au coin de la rue.  On est rentrés après pour passer le reste du dimanche dans nos chambres respectives à écrire.  Ne faisant pas un travail qui exige une grande dépense d’énergie, comme Nilminy ou Nilanta, on ne connait pas le repos du dimanche.   Par contre le soir, on a quand même bénéficié du concert improvisé d’Andrew.

Le sourire de Brigida
Béatrice s’intéresse de plus en plus aux jeunes romanciers, car ça n’arrête pas.  Le roman c’est comme cette femme (une amie de ma mère) de santé fragile et dont on annonce la mort imminente depuis des années, mais qui finit par enterrer tout le monde.  Béatrice, de plus en plus sensible à la jeunesse, aimerait créer un prix Grisha du premier roman.  À 85 ans, elle a plein de projets.  Et son bras droit c’est Brigida.  Elle mord bien dans les mots quand elle parle français.  Elle aussi a un chien qui s’appelle Lolita (Oh Nabokov).  C’est une blonde aux cheveux courts, très vive, plutôt anxieuse, qui porte parfois des trench-coats comme ces personnages de roman d’espionnage qui se déroulent dans les pays d’Europe de l’Est.  Brigida est la seule qui ne vit pas dans l’espace de Béatrice.  Elle habite assez loin, près de Florence.  Sa fille apprend la danse à New York, et c’est un souci pour Brigida, mais un plaisir pour elle qui a vingt ans.  Avoir vingt ans à New York, Béatrice a connu ça, mais ce n’est peut-être plus la même ville.  Brigida semble nerveuse en ce moment car on n’a plus Internet, ni de téléphone, depuis deux ou trois jours, et cela à cause du mauvais temps (pluie et vent).  Le temps est assez instable dans la région : deux jours de grande chaleur qui annonce l’été suivis d’un violent retour du froid.   Comme on est un peu à l’écart, Santa Maddalena a besoin de ces réseaux.  O vient encore de perdre les lignes, ce qui met Brigida dans tous ses états.  Elle tente un timide sourire quand elle me voit, ce qui me touche beaucoup.  Parfois je la regarde et j’ai l’impression d’un oiseau en cage.  Je la vois comme une de ces exploratrices qui tente de remonter le grand fleuve Congo.  Si Brigida est si anxieuse c’est parce que Lolita, sa chienne noire très costaude pourrait bousculer, sans le faire exprès, la minuscule Miss Rosine.  Lolita est gentille mais elle ne connaît pas sa force et Miss Rosine n’a peur de rien.  Voyant que je la regarde, Brigida vient de baisser la tête pour la relever vivement avec un lumineux sourire.

La fille de Nyala
Elle n’habite pas loin d’ici, et elle est venue m’accueillir à mon arrivée.  Une jeune femme aux cheveux poivrés, follement sensuelle, à l’allure de ces chanteuses hippies du début des années 70 qui vivaient encore dans les communes jusqu’au milieu des années 90.  Un vent de liberté tourbillonne autour d’elle.  Elle parle en vous regardant droit dans les yeux.  Son mari est photographe.  Elle nous a invités à prendre un verre chez elle.  Ayant travaillé presque toute la journée, j’avais besoin de ce moment de détente.  Il faut savoir se lever de table, sinon on risque de gaspiller ses cartouches.  Toujours ruser avec l’écriture, car si tu lui donnes un bras, elle t’avale tout cru.  Ne jamais en faire une addiction.  Des conseils que je me donne pour pouvoir avancer.  On grimpe tous dans la voiture, sauf Béatrice qui reste à lire.  Route cahoteuse.  Barrière en bois assez bancal.  Une table remplie de bouteilles de bière et de vin au bord de la falaise.  On fume.  Des adolescents qui jouent avec des épées en bois.  Ça doit être un bonheur de passer son enfance dans un tel décor.  Plus tard, vers l’âge de dix-huit ans, ça pourrait devenir étouffant.  Des gens souriants qui se tournent vers nous sans cesser de boire ce vin maison.  Conversation décousue.  Atmosphère bohème des années 70.  On parle de musique classique contemporaine.  On cause, on boit, on rit, sans plus.  Une Française avec un doux sourire, assise à ma droite, cherche à me parler, mais c’est difficile d’avoir une vraie conversation dans cette ambiance.  Tout ce que je voulais après une journée en tête à tête avec moi-même.  Soudain cette grande jeune femme rousse, comme sortie d’une forêt du nord, arrive vers nous.  Elle se penche à l’oreille de Nyala pour lui dire quelque chose.  Quelqu’un, me voyant la regarder avec cet air hébété qui doit la suivre partout où elle surgit, me glisse que c’est la fille de Nyala, et que ce n’est qu’une gamine de treize ans.  Elle a poussé tout d’un coup depuis l’année dernière.  C’est un problème pour sa mère.  Une jolie adolescente, c’est magnifique, mais une femme de treize ans ça crée de l’anxiété.  Et comment prend-t-elle Ça?  Très bien.  On m’a dit qu’elle se maquille aussi.  Elle est partie et on a changé de sujet.  Après trois verres de vin, j’ai raconté cette histoire.  J’avais un ami qui avait une fille pareille, et quand on lui demandait son âge, il disait 25 ans, mais il ajoutait tout de suite : elle a 13 ans, mais selon la loi c’est 25 ans de prison.  Comme on était venu pour l’apéritif, il fallait rentrer diner avant que Nilminy ne commence à s’impatienter.

Une promenade avec Kiran
Kiran (Kiran Desai est l’auteur de The Inheritance of loss) est arrivée depuis hier avec son élégance, sa sveltesse, son quart de sourire et des yeux qui pétillent de voir tous ces arbres en fleurs (les roses sur les oliviers) et aussi de sentir cette chaleur sur sa peau.  Elle a fait un long voyage depuis New York en passant par Frankfort pour arriver à Florence.  Des doigts fins et ce regard de biais ont conquis une Miss Rosine qui tente de dévorer sa fine cheville.  Kiran était venue à Santa Maddalena il y a dix ans, avec sa mère, la romancière indienne Anita Desai.  Elle s’est installée, toute en joie et en souvenirs (elle se rappelle qu’elle avait froid parce que au début les séjours se passaient en hiver), dans la chambre au-dessus de ma tête, celle qu’occupait, il y a quelques jours, Andrew Miller.  Elle doit être légère comme une plume car je ne l’entends pas quand elle se déplace.  Dès qu’on voit les thèmes (religion, race, colonialisme) lourds de signification qu’elle aborde dans son œuvre, on comprend tout de suite qu’il ne faut pas se fier à cette image de fragilité.  C’est la solitude dans ce monde global, son prochain thème.  Elle travaille jusque tard dans la nuit, et moi le matin.  On écrit aussi l’après-midi.  Plus on est en forme, plus longtemps on peut écrire.  Au début je ne pouvais travailler que deux heures par jour, maintenant je peux écrire quatre heures d’affilée sans aucun signe de fatigue.  Un entrainement d’athlète.  Et tout cela tient à cette nourriture saine de Nilminy –elle fait souvent de la soupe avec les légumes et les feuilles du jardin.  On n’ose pas lui demande quelles feuilles elle utilise.  On se contente de manger parce que c’est bon.  En se levant de table, on n’a plus faim, mais on ne sent pas trop lourd.  J’évite les pates.  Le café sous l’arbre dans la cour, suivi d’une promenade dans les bois pour rafraichir notre esprit.  Après dix minutes de marche, je me suis retrouvé face à face avec Kiran qui remontait vers la maison.  Je lui ai offert de redescendre, elle a accepté d’autant plus que si elle n’a pas été jusqu’au bout c’est par crainte que ce soit si qu’elle n’ait plus la force de revenir.  Son plus vieux c’est rêve de partir un jour pour ne plus revenir.  Nilminy aime un horaire strict pour le diner.  En y pensant, je n’ai pas vu beaucoup de repas dans Guerre et Paix.  C’est sûrement du au tempérament de Tolstoï qui n’aimait pas trop manger.  On le voit dans des bouts de film à table avec sa famille, mais il porte rarement la cuillère à la bouche –Nilminy n’aurait pas été contente. Il reste encore près de trois heures avant le repas, alors on est jusqu’au bout en longeant les falaises créées par les éboulis.  De temps en temps on entendait un arbre craquer, ou le bruit d’un oiseau qui traverse le feuillage par soif du ciel.  On s’immobilise.   C’est là que je sais que je ne suis plus à Montréal, ni elle à New York.  J’ai dit à Kiran de prêter attention au chant du ruisseau à la sortie du bois.  Toujours émouvant d’entendre l’eau avant de la voir.  Arrivés au bout, on tourne à gauche en espérant que cette nouvelle route moins cahoteuse, donc plus carrossable, nous mènera à l’autoroute.  On fera alors un cercle entier pour rentrer à la maison.  Deux femmes viennent dans notre direction, avec des provisions achetées peut-être à Donnini.  On leur demande en anglais combien de temps faut-il pour arriver sur la route bétonnée.  Une heure, répond celle qui nous a sourit.  Et après, il faut ajouter une autre heure pour atteindre la maison.  La Suédoise (on parle de Carin) l’a fait.  Son audace impressionne beaucoup Kiran qui conclut que les Suédois sont amateurs de ballade en forêt, mais nous, on pourrait se perdre dans un boisé.  Alors on est revenu sur nos pas.  Kiran qui vient d’arriver toute fébrile de New York a fait deux heures de marche sans effort apparent.  Juste à temps pour aller se préparer pour le diner.

Sur trois fronts
Ici, nous ne sommes que les personnages du grand roman de Béatrice.  C’est elle qui a créé ce cadre magnifique, mais elle a peur que tout ça disparaisse un jour.  L’idée vient de son ami Bruce (Bruce Chatwin est l’auteur d’En Patagonie) qui n’arrêtait de lui dire combien cet endroit était parfait pour écrire.  C’est ainsi que Béatrice a décidé, il y a douze ans, d’en faire un refuge pour les écrivains.  Cela exige une folle détermination, simplement maintenir le bateau à flot.  D’abord il faut trouver l’argent.  Les subventions de l’Etat ne suffisant, on doit chercher dans le privé.  Béatrice a essayé de taper vainement ses connaissances (Grisha et elle ont tant d’amis riches), comme l’industriel Gianni Agnelli.  De plus il faut s’investir humainement, être là, chaque jour, pour veiller au moindre détail.  Mais cela ne marchera pas si on ne met pas la main à sa poche.  Elle vend alors quelques tableaux.  Enfin, elle se démène.  Seuls les chiens savent la tirer de la morosité.  Ce n’est pas simple tous les jours de régler tous les détails (invitation, dates, billets d’avion, imprévus) qui permettent de mener à bout un projet de séjour de six semaines avec un écrivain qui vit à l’autre bout du monde.  Et son écriture ne dit pas forcément son caractère : les plus hardis dans l’écriture sont en fait des timides dans la réalité, et les plus subtiles peuvent se révéler de grossiers personnages.  À chaque fois, c’est une bombe à retardement.  Dans ce roman (Guerre et Paix) que je lis quand je n’écris pas, Tolstoï se débat avec deux armées qui se tirent dessus.  Mais le pire ce sont ces salons de Saint-Pétersbourg et de Moscou qui regorgent de riches oisifs qui ne se préoccupent que de leurs états d’âme tandis que de pauvres jeunes gens meurent là-bas, sur le front, afin de défendre les intérêts de cette aristocratie.  En fait Tolstoï se bat sur trois fronts : le front russe, le front français et le front des salons.  Est-ce pourquoi il se sent supérieur à Napoléon et à l’empereur Alexandre qui, eux, n’affrontent que le front adverse.  Mais vaut mieux parfois faire une guerre que d’avoir à calmer les nerfs de la princesse Maria, à qui il semble manquer la seule chose qui l’épouvante : baiser un bon coup.  Est-ce pourquoi elle change toute cette frustration en désir de sacrifice.  Les motivations des gens sont toujours troubles et mystérieuses.  Tolstoï n’a fait qu’effleurer dans Guerre et Paix le front du sexe, ce qui en fait un chef d’œuvre au 9/10.

Miss Rosine
Miss Rosine n’était pas plus grande que ma paume en arrivant à Santa Maddalena, et elle avait de grands yeux dont je ne savais s’ils exprimaient la peur ou la curiosité.  On a été fixé très vite, car cela lui a pris à peine deux jours pour définir son territoire.  Et semer la pagaille dans cette maisonnée qui menait une vie trop bien rangée à son goût.  Avant son arrivée, les choses semblaient pourtant claires chez les chiens comme les humains.  Je passais mes après-midis avec Béatrice à évoquer une époque aujourd’hui disparue.  Sa mémoire, aléatoire quand il s’agit d’événements qui datent d’hier, devenait de plus en plus précise au fur et à mesure qu’on remontait dans le passé.  La chienne Carlotta, elle, s’enlisait dans sa passion pour Paride.  Paride, lui, supportait comme il pouvait cette folie.  Julietta, elle, continuait à japper inlassablement la petite fille à la bicyclette qui l’ignorait royalement.  Béatrice a un faible pour Julietta qui a connu des jours difficiles dans sa jeunesse, d’où son coté un peu sauvage.  Elle semble marcher sur la frontière qui sépare les humains des animaux, ne sachant pas encore quelle décision prendre.  Cela me rappelle les chiens d’Haïti, et ça m’émeut.  Alex, lui, s’acharne sur son deuxième roman tout en préparant un marathon pour dimanche prochain.  Et Béatrice qui cherche toujours un moyen pour glisser dans la conversation le nom de Grisha.  Voilà la situation avant que Miss Rosine ne se pointe avec son air de ne pas y toucher.  Dès le deuxième jour, elle a exigé l’attention de Carlotta (même race) qu’elle croit être sa mère.  Carlotta lui fournit toute la tendresse possible, mais Paride absorbait déjà toute son énergie.  Paride, avec ses beaux yeux mourants, n’a pourtant rien du séducteur type.  C’est un passif qui se laisse envahir, tout en continuant à vaquer tranquillement à ses occupations.  Paride qui ressemble beaucoup plus à un mouton qu’à un chien (il a une toison) est fait pour une vie paysanne, toute de simplicité, avec des journées qui se terminent après l’angélus.  Mais c’est à ce moment-là que Carlotta se met à gémir, sachant qu’on doit la séparer de Paride afin de dans ses appartements –elle dort avec Béatrice.  Enfin, Miss Rosine vint.  Elle danse, elle saute, elle marche à reculons, elle dort sur tout le monde et n’a peur de rien.  Elle nous met en joie.  Une joie pure, fine, en crescendo.  Depuis deux jours, je remarque qu’elle prend du poids, et je parie que dans quelque mois la pauvre Carlotta se retrouvera avec une rivale plus jeune, et plus charmeuse.  Paride devra alors faire un choix ou devenir bigame.

La fin de Guerre et Paix
J’arrive ce matin, à la fois triste et survolté : je viens à peine de terminer Guerre et Paix.  Je croise Alex.  On discute le coup.  La fin.  Pierre qui épouse Natacha.  La princesse Maria qui se marie avec Nicolas.  Le vieux père du prince André qui est mort.  On cherche à savoir quel personnage représente Tolstoï dans l’histoire?  Bien sûr tous les personnages, et même ceux qui ne lui ressemblent pas du tout, comme la princesse Maria.  On argumente.  Tolstoï était tout sauf une victime comme cette princesse au visage ingrat.  Mais Tolstoï aussi a un coté martyr si l’on se rappelle des conditions de sa mort : un vieil homme de plus de 80 ans qui tente, sur le tard, de s’échapper des griffes de sa femme, et qu’on retrouvera frigorifié dans une gare.   On comprend alors que Sophie et lui ont vécu comme deux scorpions dans un bocal.  Son œuvre fourmille de traces de ce combat.  Le champ de bataille c’était la maison.  Le duel à mort entre le vieux prince Bolkonski et sa fille Maria n’est pas différent.  Et tout au long on se demande qui survivra à l’autre?  Tolstoï répond que dans tous les cas, ce sont les hommes qui meurent d’abord.  Bon, voilà : Alex pense que Tolstoï c’est le prince André; moi, je pense que Tolstoï c’est le père du prince André, ce vieil atrabilaire qui jette son flot de bile sur ma famille, sa génération, l’époque entière.  Je crois que Tolstoï est aussi cet oiseau gai, fragile et courageux qu’est Natacha Rostov.  Pour la décrire aussi bien, elle doit l’habiter profondément.  On cause, mais en fait on est triste.  Il n’y a plus Tolstoï pour nous enflammer.  On irait bien fêter ce moment au petit bar de Donnini qu’aimaient tant Karin et Andrew, mais ce n’est pas Béatrice qui nous accompagnerait dans cet endroit qu’elle trouve d’une laideur insupportable.

Une lectrice impitoyable
Je trouve Béatrice huit fois sur dix en train de lire : le rapport d’un écrivain qui avait séjourné dernièrement à Santa Maddalena, un article concernant Grisha dans le New York Times, le dernier numéro de La Republica, le New York Book Review de son ami, une traduction qu’elle avait commandée et qui vient d’arriver, ou le plus souvent le livre d’un écrivain qu’elle voudrait inviter pour un séjour de deux ou six semaines.  Elle sent tout de suite si un écrivain vaut la peine ou pas, et cela se passe si vite qu’on pourrait penser qu’elle ne va pas au fond des choses.  En réalité, c’est une lectrice exceptionnelle.  Elle va droit au but et met le doigt à coup sûr sur le point faible du livre.  Ou alors elle tombe complètement sous le charme de cette jeune Allemande qui raconte le nazisme d’une manière toute originale.  C’est une affaire intime entre Béatrice et le livre, et elle ne se retient pas pour dire ses sentiments.  Et ne se laisse influencer ni par le renom de l’auteur, ou les nombreux prix que le livre a accumulés durant l’année.  Rien ne compte à part la musique profonde et les drames intérieurs qui traversent le livre.  Comme elle dirige une fondation et qu’on n’écrit pas des chef d’œuvres chaque année, elle doit quand même se sentir parfois obligée d’inviter des auteurs célèbres afin de donner un peu de lustre à son affaire, surtout quand on sait que les médias se nourrissent de noms connus.   Malgré ce qu’elle peut prétendre je sais aussi qu’elle est sensible à la célébrité, mais je sais surtout que pendant la lecture il n’y a qu’elle et le livre.  Il arrive aussi qu’elle se renseigne auprès d’amis sûrs avant d’arrêter totalement son idée à propos d’un auteur.  Ce qui fait d’elle une lectrice précieuse c’est l’instinct, la curiosité et un grand sens du plaisir.  Elle aime être secouée (elle a vécu avec ce provocateur de Grisha).  Je l’abandonne à sa lecture pour aller flâner dans cette maison qui ressemble à une caverne d’Ali Baba dont les murs sont tapissés de livres et de tableaux.  Elle lit dans plusieurs langues et ne dédaigne aucune forme d’écriture.  Elle peut s’enticher de Villa-Matas comme de Kiran Desai.  Et quand elle s’enflamme, elle devient absolument partiale.  Certains écrivains reviennent à santa Maddalena, d’autres ne font que passer et sont très vite oubliés.  Elle lit un livre mais évite un écrivain.  À partir de là c’est une question d’atomes crochus.  Cela se passe ainsi quand les choses sont vues par le prisme d’une seule sensibilité, surtout quand c’est celle d’une femme solitaire (même si toujours entourée) qui vit avec ses chiens et ne pense qu’à son mari.

L’envoyé de la culture
Il était assis sur le petit banc, adossé contre le mur, mal rasé (c’est toujours ainsi), dans cette posture désinvolte de samedi matin, avec ce sourire légèrement méprisant de jeune prince blessé à la bataille de Moscou.  Je lui jetai un rapide regard et il m’a parlé en français, comme on fait toujours dans l’aristocratie russe.  Si je n’étais pas imprégné de l’atmosphère de Guerre et Paix, j’aurais plus vu un de ces princes florentins que l’on voit dans les tableaux.  Je rentrai prendre une orange pour retrouver plus tard le trio assis dehors : Giuliano Da Empoli (ancien adjoint à la culture de la ville de Florence), Béatrice et Alex.  Je les écouter discuter de la préparation des rencontres et conférences du prix Grisha.  Au ton joyeux de la conversation, je sens que c’est dans la poche : Béatrice a eu tout ce qu’elle voulait.  Je n’ai pas pu résister à l’envie d’évoquer Guerre et Paix, un peu comme Natacha Rostov qui découvre, épouvantée, qu’elle ne peut s’empêcher de penser à Anatole Kouraguine.  Je n’arrive pas à sortir des filets de cette séduction.  Soudain l’œil gauche de Juliano s’allume.  Lui aussi vient tout juste de finir Guerre et Paix.  On l’a lu dans les mêmes conditions c’est-à-dire qu’on en avait lu quelques passages auparavant mais qu’on s’était gardé pour diverses raisons  de le lire au complet.  On n’entre pas sans coupe-coupe dans cette taïga.  Il faut être prêt, se ménager au moins deux semaines de lecture.  Ce n’est pas une lecture, c’est une expérience.  L’impression d’un alpiniste qui a conquis un de ses sommets.  Transfiguration mystique.  On échange tout de suite nos scènes préférées, comme des gosses qui se partagent les billes.  On tombe d’accord sur la fameuse scène où le père de Pierre se meurt et qu’il faut trouver le testament caché sous son oreiller.  Comme il est l’homme le plus riche de Moscou, c’est la nuit des longs couteaux.  Le prince Vassili est là d’ailleurs avec sa rondeur, sa fatigue innée, et ses étranges glissades.  C’est le fils naturel du vieux comte Bézoukhov, Pierre, qui finit par l’emporter sur les trois princesses légitimes, et devient ainsi le meilleur parti de Russie.  On est d’accord, c’est une nuit affolante.  Alex évoque le flegme de Bagration à la première bataille de l’armée russe contre Bonaparte quand les jeunes officiers viennent l’avertir de tel danger imminent sur la droite ou sur la gauche ou pire que l’armée russe est coupée en deux.  Bagration se contente de hocher la tête comme s’il avait prévu tout ça.  On est d’accord, bonne scène.  Juliano a un faible pour les discours interminables, philosophiques, désabusés, si vrais du vieux Tolstoï, pour dire que quelque soit notre action ce qui devrait arriver arrivera, parce que les individus n’ont aucun pouvoir quand de tels intérêts sont en jeu et de telles masses de gens en mouvement.  Il apprécie particulièrement quand  Tolstoï remarque que plus on est haut placé moins on a de possibilité de manœuvre.  On acquiesce.  Je n’avais pas remarqué le sourire de Béatrice qui avait lu Guerre et Paix dans son adolescence et qui, elle, a un faible pour la princesse Maria qui s’est sacrifiée pour son père.  Elle ne l’aime pas, mais ce personnage l’intéresse.  Un personnage qu’Alex déteste tout en reconnaissant la force du trait de Tolstoï.  C’et un portrait puissant, russe, mystique, à mon avis Tolstoï dessine là le visage d’un peuple russe qui entretient des rapports presque pervers avec son élite qui serait son bourreau.  Bonaparte n’est pas plus ennemi des Russes que son aristocratie.  Mais Béatrice comprend la princesse Maria à cause de Grisha qui connait bien cette âme slave qu’il a décrite dans son magnifique livre Neiges d’antan.  Cette loyauté de la princesse Maria pour son père n’est pas différente de cet amour éperdu qu’a nourri Kassandra la nounou pour le petit Grisha.  Bien que la fragile Maria ne soit pas habitée par la rage de cette fille des Carpates aux traits simiesques, on trouve chez ces êtres des sentiments d’une profondeur et d’une force qui se rapproche de la violence.  Il y eut un incident de dernière minute qui a failli tourner au drame.  Je trouvai la fin rapide avec les deux mariages, surtout celui de Pierre Bézoukhov avec la princesse Maria Bolkonski.  Stupeur de la part de Juliano : le prince Pierre n’a jamais épousé la princesse Maria.  Je lui signale alors que Tolstoï a publié, de son vivant, sept versions de Guerre et Paix.  Il s’étonne et semble croire qu’il a lu une mauvaise version.  Il accuse Einaudi qui devrait faire attention de donner aux lecteurs italiens la meilleure version possible.  Je plastronne.  L’Italie mise en déroute par Haïti.  Juliano  murmure que dans sa version c’est avec Natacha Rostov que le prince Pierre Bézoukhov se marie.  Patatras, je comprends mon erreur.  Il y a plus de princes et de princesses dans les salons de l’aristocratie que de soldats dans l’armée russe.  On rit tout en se levant pour aller prendre le café sous l’arbre, au fond de la cour.

Mauvais jour
Justement que fait Béatrice depuis un moment?  J’espère que vous avez remarqué que je suis la manière narrative de Tolstoï en mélangeant l’histoire collective aux passions individuelles.  Béatrice est dans tous ses états ce matin.  Le jury pour le prix de Grisha risque de tomber à l’eau par faute de combattants.  L’un  est à l’hôpital (Edmund White); l’autre (Alberto Manguel est l’auteur d’Une histoire de la lecture) est interdit de voyage par son médecin traitant.  Alberto Manguel est cet ami avec qui je partage une fascination sans borne pour Borges –durant sa jeunesse à Buenos Aires, Manguel allait faire la lecture au vieil aveugle.  Michaël Ondaatje a envoyé son discours sur le métissage, c’est ça de pris.  Kiran va être là pour causer avec Ondaatje.  Kiran n’a pas l’air d’aimer trop se montrer en public.  Elle préfère s’enfermer dans sa chambre pour écrire.  Elle est au beau milieu de son prochain roman, et c’est toujours une zone dangereuse.  Le roman existe, mais pourra-t-on l’amener à bon port?  Et Béatrice qui garde son sourire en se rappelant de la vieille règle : on doit garder la même légèreté face aux tracasseries de la vie, et ne jamais devenir sérieux.  Oui, mais les faits sont têtus : on risque la catastrophe.  Ils ont même été en lune de miel en Haïti, sans jamais oser appeler ça lune de miel.  Comment faut-il appeler ce voyage dans un pays poétique qui les a touchés en plein cœur, non d’un tonnerre de Dieu!  Que va devenir Edmund White si malade?  Elle n’ose y penser car Edmund c’est sa faiblesse.  Sa candeur la touche au cœur.  L’une des rares personnes avec qui elles a des conversations aussi intimes et vraies, sans que l’un ne cherche à juger l’autre.  Quand elle aime, elle ne juge plus.  Elle qui juge les bébés selon son critère de beauté implacable.  Les mouches, les couleurs, les épouses à qui elles ne pardonnent rien.  Les choses ne s’arrangent pas.  La voilà qui revient avec de nouvelles informations plus positives.  Dans son dernier mail,  Edmund White, toujours très malade, trouve la force pour corriger les fautes dans un texte qu’on doit envoyer à la presse : Ondaatje et Woolf (Virginia) ne s’écrivent pas comme ça, et il rétablit la bonne orthographe.  Donc, tout va bien.  Enfin Béatrice éclate de rire avec cette d’adolescente qui a du séduire Grisha (mort, je ne détourne pas de ton chemin).

Béatrice
Il y a chez Béatrice une certaine légèreté dans les mouvements (on dirait une ancienne danseuse), un petit sourire moqueur flottant sur des lèvres minces, et cette capacité de se scandaliser pour ce qui pourrait paraître à d’autres une vétille, quitte à garder son calme face à des événements beaucoup plus graves, qui l’apparentent à Natacha Rostova.  Une gamine espiègle qui aime brouiller les jeux et une vieille aristocrate qui ne pense qu’à la couleur de sa piscine.  Des yeux froids qui s’embuent dès qu’elle voit un chien.  Une femme capable de vivre à côté d’un séducteur.  Et une fragile jeune fille qui monte l’escalier vers sa chambre avec un chien dans ses bras et un autre qui le précède pour rejoindre au téléphone l’ami Edmund White, pas moins perdu et recuit de solitude, là-bas à Manhattan.  Ce courage qu’il faut pour tenir à flot une telle aventure, presque sans aucune aide (une aide qui s’amenuise au fur et à mesure que la fondation Santa Maddalena grossit) l’apparente à cette sudiste, aussi superficielle que tenace, de Scarlett O’hara. Toutes ces choses, drôles et tristes, font de Beatrice Monti de la Corte, l’un des caractères les plus intéressants de la littérature contemporaine, et l’auteur de ce long roman proustien dont les personnages sont les 150 écrivains qui ont travaillé dans la Tour de Santa Maddalena, comme l’a rêvé l’ami Bruce Chatwin.  Cet endroit est aussi un petit cimetière où se reposent tous les chiens qui ont vécu ici et, sous une pyramide, dans le jardin, Grisha l’adoré.

La nuit bouge
Cette nuit, vers 4h du matin, j’ai senti mon lit bouger.  Comme j’ai vécu le tremblement de Port-au-Prince, je pensais que c’était une hallucination.  Ça m’arrive encore, mais de moins en moins.   Les murs tremblaient de plus en plus fort faisant valser quelques tableaux, sans les décrocher pour autant.  Pas plus d’un 5 à l’échelle Richter – j’ai déjà vécu un 7.   On veut quitter le lit, mais une certaine torpeur nous en empêche.  Je me lève au moment un éclair m’éblouit.  Tout de suite après ce fut un craquement.  Je connais ce bruit, je l’avais entendu à Port-au-Prince.  Je sors dans le couloir en appelant Kiran qui me répond sans quitter sa chambre qu’elle a senti le sol trembler aussi.  Elle a vu l’éclair mais n’a pas entendu la bâtisse craquée.  Je vais par la fenêtre pour voir comme se portaient les fleurs, comme si je revivais le même événement.  Elles se balançaient calmes et sereines dans la pénombre.  Le jour n’allait pas tarder à venir.  Je suis retourné me coucher et me suis tout de suite endormi.  C’est en sortant dans la cour, le matin, que j’ai compris à quel danger j’étais exposé.  La Tour se trouvant au bord d’une falaise, on risquait à tout moment un glissement de terrain.  Auparavant c’était un plateau, mais la terre n’a cessé de glisser.  Je suis allé aux nouvelles sur Internet.  C’était bien un séisme dont l’épicentre se trouvait près de Bologne, à une centaine de kilomètres d’ici.  Il a fait six morts et a causé beaucoup de dégâts.  La presse internationale n’en a pas encore parlé, mais un ami m’a envoyé un mail : « Décidément, on se demande si tu es radioactif. »

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